Les derniers rayons de soleil peinent à se frayer un chemin entre les immeubles, laissant peu à peu la ville dans la pénombre que repoussent vaillamment les lampadaires incandescents. Les travailleurs se pressent dans les rues éclairées, impatients de retrouver le confort de leur demeure et le son de la télévision allumée, alors que les promeneurs profitent des dernières lueurs du jour pour vagabonder entre les immeubles, partageant cet instant avec quelque ami ou amant.

Vu d'en haut, tous ces êtres se ressemblent, vulgaires insectes semblables, inconscients de leur état de médiocrité. Pourtant, en y faisant attention, trois types de personnes se détachent de ce groupe uniforme :

La majorité se compose de tous ces mécréants qui se contentent de courir après leurs rêves, ceux de gloire ou de richesse, de jeunesse ou de passion. Ils arborent tous cet air impatient ou inquiet, signe de l'insatisfaction qui les ronge inexorablement, un feu éternel brûlant leur âme pour n'en laisser que des cendres.

Certains autres ont eu la chance de s'extirper du cercle vicieux de l'envie car ce monde-ci ne leur suffisait plus. Ils ne se contentent plus de courir après leurs rêves, ils les vivent. Pour une raison ou une autre, ils ont franchi le pas de la conscience, de la maîtrise et des dimensions. On les nomme les Lucides. En apparence des citoyens comme les autres, à la seule différence qu'ils contrôlent absolument tout, non pas dans ce monde, mais dans celui des songes. Ils ont vaincu leur inconscient dans un duel à mort et sont désormais maîtres de ce pays fabuleux que chaque nuit ils rejoignent. La tâche fut laborieuse, pénible, mais la récompense n'en est que plus prestigieuse : contrôle de leur environnement, pouvoirs infinis, clairvoyance... autant de dons qu'ils perfectionnent du crépuscule à l'aube sous les traits d'un autre.

La plupart des humains compare le monde des rêves à une douce utopie où tout semble possible, sans conséquence, où même la mort ne peut entrer. Ils ne sont que des imbéciles, des ignorants qui ne soupçonnent pas l’existence d'une hiérarchie complexe au sein de cet univers qu'ils côtoient pourtant chaque nuit. L'ordre parfait qui y règne est le fait d'un seul être : Morphée. Les habitants du royaume des songes, ceux que l'on surnomme Oniriques, doivent entière obéissance et respect total à celui qui les a empêchés de sombrer à tout jamais dans les limbes de l'oubli. Beaucoup vantent son incommensurable puissance, certains le soupçonnent d'avoir un jour été humain alors que d'autres rumeurs font de lui un dieu. Lui et sa milice veillent à ce que chacun occupe la place qui lui fut assignée, et chaque Onirique se doit d'obtempérer sous peine de se voir à jamais effacé. Ainsi, les Phoebs sont condamnés à terrifier les Humains innocents dans leurs nuits alors que la tâche inverse incombe aux Aephoris, créateurs de doux rêves. Les Eidons, quant à eux, agissent selon le bon plaisir du tyran, prisonniers de leur neutralité.

Et que se passerait-il si certains se rendaient compte de leur état ? De leur position de créations, de pensées, d'irréels ? Et si ces Oniriques, devenus lucides, pouvaient se rendre à volonté dans le monde réel sous une forme choisie par eux et connue d'eux seul avec comme unique prix à payer l'abandon de tous leurs pouvoirs le temps de leur présence chez les Humains ? Il faut savoir que ces derniers ne sont pas les seuls capables de devenir lucides, d'accéder à un monde dont ils ne font originellement pas partie. Ces Oniriques lucides forment le troisième type de personnes présent dans les rues de [INSERER NOM VILLE].


© Drawing by Guillaume Ospital